« Il y a Michael Jordan et après il y a le reste d'entre nous » (1)
« Si vous rentrez dans un mur, n’abandonnez pas. Trouvez un moyen de l’escalader, le traverser, ou travaillez autour » : Michael Jordan.
« Et sur de grands exploits, bâtir sa renommée » : Pierre Corneille.
La National Basketball Association a connu un roi. Pendant plus de treize ans, Michael Jordan, a régné en maître sur la NBA. Drafté au troisième tour par les Chicago Bulls en 1984, ce gradué de l’université North Carolina (2) a fait preuve de patience avant de pouvoir démontrer toute l’étendue de son talent. En effet, on a craint qu’une fracture au pied gauche ne mette prématurément un terme à sa carrière lors de sa deuxième année en NBA lors de la saison 1985-1986. C’est lors d’un match éliminatoire face aux Boston Celtics, que Michael Jordan va faire comprendre au monde entier qu’il est un grand, un de rares à pouvoir décider du cours d’un match à lui seul. Ce soir-là, il établit un nouveau record, celui du nombre de points dans un match en play-offs. 63. Ce qui fait dire à Larry Bird, l’un des éléments essentiels de l’équipe des Boston Celtics qui restera dans la légende, « Dieu s’était déguisé en Michael Jordan » (3).
C’est autour de MJ que la direction des Bulls va construire une équipe redoutable qui va marquer la décennie 1990. His Airness en sera le magicien, le virtuose autour duquel les autres excellents Bill Cartwright, Scottie Pippen et Dennis Rodman graviteront. De 1991 à 1998, les Bulls de Chicago trusteront 6 titres NBA (4). A chaque occasion, Michael Jordan reçoit le titre MVP (5) de la finale. On se souvient tous de la finale 1996 où Michael Jordan, après un nouveau titre, fond en larmes le trophée entre les mains, mais la tête et le cœur auprès de son père, décédé trois ans plus tôt. Il est sélectionné à neuf reprises, un record, pour la NBA All-Defensive First Team. Jordan possède également la meilleure moyenne de points en carrière et en phase finale, avec respectivement 30,1 et 33,4 points par match. Ses 5 987 points dans les phases finales constituent le total le plus élevé de l'histoire de la NBA. Il se retire avec 32 292 points, le troisième total derrière Kareem Abdul-Jabbar et Karl Malone. Avec cinq titres de meilleur joueur de la saison régulière, à égalité à la deuxième place avec Bill Russell et seulement dépassé par Kareem Abdul-Jabbar, six titres de meilleur joueur des finales, un record, et trois titres de meilleur joueur des matchs All-Star, Jordan est le joueur le plus titré à avoir jamais joué dans la NBA. Beaucoup de joueurs contemporains de Jordan le qualifient de plus grand basketteur de tous les temps. Il est nommé en 1999 meilleur athlète nord-américain du XXe siècle par ESPN devant Babe Ruth et Mohamed Ali lors d'un sondage auprès de journalistes, athlètes et autres personnalités du sport. Il termine deuxième derrière le joueur de baseball Babe Ruth sur la liste des athlètes du siècle selon l'agence de presse Associated Press. Il en ira de même lorsqu’il quittera le maillot des Bulls de Chicago pour revêtir celui de la Dream Team. Sur les douze membres de l'équipe américaine envoyée en Espagne, dix sont en 1996 classés dans les « Meilleurs joueurs du Cinquantenaire de la NBA » comme David Robinson, Larry Bird, Clyde Drexler, Scottie Pippen, Karl Malone ou encore Magic Johnson. Les JO de Barcelone, en 1992, seront une démonstration.
Pendant dix ans, Jordan va dominer les statistiques de la NBA. Il égale le propre record du mythique Wilt Chamberlain de sept titres consécutifs de meilleur marqueur de la saison. Comment s’étonner devant MJ déclarant qu’il peut dépasser le nombre de cent points en un match après ça ? Avec lui tout devient possible. Son nom est associé à la victoire. Le rapprochement avec Nike, marque mythique par excellence, en sera la consécration. Celle du mariage entre l’un des plus grands sportifs de l’histoire, et de la marque faisant référence explicitement à la déesse grecque de la victoire, Niké.
Michael Jordan, comme Carl Lewis ou Michael Johnson, est un « athlète Nike ». Un nom de marque qui signifie « victoire » en grec ancien et qui a la consonance du nom de son créateur, Phil Night. Un homme phénomène qui a compris toutes les subtilités du dépassement de soi. Dans cette entreprise qui réalise 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires et près de cinq fois plus avec les licences, créée seulement en 1971, tout repose sur les stars des stades et en particulier sur les plus atypiques d’entre elles, les « bad boys ». « Knight a une affection particulière pour les sportifs qui repoussent les limites du sport. Chaque fois que McEnroe jette une raquette, nous vendons plus de chaussures » (6). Le lien qui unit les athlètes et la marque a un caractère passionnant. Aux Jeux Olympiques de Barcelone, Michael Jordan et la « Dream Team » refusent de porter le survêtement de la marque rivale Reebok ! Nike commence à distribuer des chaussures dans les lycées aux meilleurs athlètes. Ces produits, ce nom, doivent symboliser le dépassement de soi, inscrit de façon indélébile dans l’inconscient de l’homme : « La raison de notre succès, dit le porte-parole de Nike, c’est d’associer les meilleurs athlètes et les meilleurs produits. Les gens achètent nos chaussures et nos vêtements parce qu’ils sont excellents. Ce sont d’ailleurs les mêmes que portent les vedettes du sport » (7). Nike a parfaitement compris et assimilé le nouveau langage du dépassement héroïque de chaque individu. Le sens profond d’une marque est sans doute de permettre au mortel de se dépasser et d’atteindre l’héroïsme (8). La publicité Nike souhaite faire partager à son public un autre type de dépassement personnel. Un dépassement moral. Lors du retour d’Eric Cantona sur un stade, après huit mois de suspension, la marque publia dans les quotidiens anglais le texte suivant : « Il a été puni pour ses fautes. N’est-il pas temps de pardonner et d’oublier ? ». Phil Night aime à répéter que « la ligne d’arrivée n’existe pas ». Il n’y a pas de limites aux marques qui ont fondé leur légitimité sur le dépassement de soi. Mais les marques de sport sont devenues des styles de vie et le marketing a bien souvent remplacé les recherches technologiques. C’est là le grand pari de Nike dans son rapprochement avec Michael Jordan qui tient à la fois du mariage entre deux personnes faites l’une pour l’autre, trouvant dans la victoire et le dépassement incessant de soi un motif d’association inévitable, mais aussi à la volonté de proposer une gamme de produits d’excellence. Car si Nike s’est rapproché de Michael Jordan, ce n’est pas uniquement pour donner à son discours sur le dépassement de soi une crédibilité plus grande, mais surtout pour aboutir à une gamme de produits d’une qualité supérieure. Le marketing ne fait pas tout. Ce serait une erreur de le croire. Un produit ne connaître jamais un succès durable s’il s’appuie sur un storytelling très puissant mais où la qualité est absente !
Michael Jordan signe un contrat (9) avec Nike dès 1984 lorsqu’il fut drafté par les Bulls (10). Sous l’influence de son agent de toujours, David Falk, l’idée de créer une ligne à son nom naît à cette époque. Pourtant l’affaire est loin d’être réglée ! A l’université Jordan jouait en Converse (tout comme Larry Bird et Magic Johnson). La signature de MJ au bas d’un contrat d’Adidas était même toute proche. Pourtant, David Falk, qui tient plus que tout à son projet, décide de signer avec Nike, au creux de la vague à ce moment. Plus que toute autre, Nike cherchait un fer de lance pour se donner un nouveau souffle. Bien que n’offrant pas encore les garanties sportives qu’il offrira dix ans plus tard, l’opportunité Jordan fut saisie. Nike posa cependant ses conditions car il s’agissait de relancer les produits Nike autour d’un athlète hors-norme. MJ devait être All-Star ou All-NBA First Team dans les trois ans et les chaussures Jordan devaient se vendre pour au moins 3 millions de dollars en trois ans.
(1) Magic Johnson.
(2) Où il mène les Tar Heels à la victoire lors de la finale du championnat universitaire de 1982.
(3) Larry Bird, joueur des Boston Celtics, après le match contre les Chicago Bulls, à propos de Michael Jordan.
(4) Signalons que Michael Jordan prît une première retraite lors de la saison 1993-1994, saison que ne purent remporter les Bulls... Pour rappel, les titres NBA des Bulls de Chicago furent remportés en 1991, 1992, 1993, 1996, 1997 et 1998.
(5) « Most Valuable Player ».
(6) Article sur Nike, Le Point, juin 1997.
(7) Ibid.
(8) LEWI Georges, Mythologie des marques. Quand les marques font leur storytelling, Paris, Pearson, 2009, 2ème édition, p. 92.
(9) De 2,5 millions de dollars sur cinq ans.
(10) Notre étude met essentiellement l’accent sur Michael Jordan et Nike. Mais il serait réducteur de faire croire que Jordan n’a été l’homme que d’une marque, Nike. Il fut aussi un important porte-parole pour Coca-Cola, Chevrolet, McDonald’s, Guy Laroche, Oakley... Mais ce qui nous intéresse ici c’est la façon dont un sportif, mythe contemporain, investit un autre mythe.
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Partie 2/2
Article rédigé par Thomas Mollanger l Image : DR