Ô pauvre France ! Que penser d’un pays qui célèbre exagérément de modestes vice-champions du monde qui, de surcroît, ont conquis leur (sous-)titre sans l’art, ni la manière et dont la seule véritable performance fut le franchissement de la ligne médiane lors du Hakka néo-zélandais ?
Il n’empêche. Toutes les occasions sont bonnes, désormais, pour fêter ostentatoirement une non-victoire. Fi, la retenue exigée du perdant ! Place au triomphalisme inapproprié et au protocole démesuré : ovation place de la Concorde, réception à l’Elysée, le 20 heures de Laurence Ferrari…
Il faut dire que, depuis 1998, on a quelque peu banalisé – pour ne pas dire bradé – les occasions de parader sur les Champs. La moindre médaillette est prétexte à gambader sur la plus belle – la plus bête ? – avenue du monde.
L’occasion aussi de ressortir les drapeaux bleu-blanc-rouge et de voir tous les quarts d’heure, dans les J.T. des chaînes info, cette mamie qui nous explique, la larme à l’œil, qu’elle n’avait plus brandi son étendard depuis la Libération. Un peu de pathos pour gonfler l’événement, tant qu’à faire !
Des nageurs aux perchistes en passant par les finalistes de la dernière Coupe Davis, tous ces champions de deuxième classe ont cru devoir exprimer à une foule toute relative, souvent indifférente, l’immense honneur qui fut leur d’avoir porté fièrement, jusqu’à la dernière marche, les couleurs de notre beau pays. Saisis par ces relents de patriotisme, on en oublierait presque que ces mises en scène sont orchestrées par des sponsors qui troquent sans scrupule le bleu de France contre le vert des billets.
Ce business a le vent en poupe. Désormais, chaque sportif, selon ses moyens (donc sa discipline), aura droit à son quart d’heure de gloriole en louant le pavé des Champs-Elysées. Et ce quelle que soit la performance accomplie. Eh oui ! La descente des Champs, c’est un peu la Rolex du sportif : « Si tu ne l’as pas faite, t’as raté ta vie ! ».
Ainsi, l’on ne s’étonnera guère de voir une huitième-de-finaliste du tournoi olympique de badminton, perchée au sommet d’un bus à impériale se frayant un passage entre les bennes à ordures et les camions des livreurs, à cinq heures du matin, quand Paris s’éveille, se faire acclamer par un quarteron de badauds ivres, attirant par là même l’œil amusé des pigeons qui picorent à cette heure-ci quelques miettes et qui, du coup, en auront quelque autre à se mettre sous le bec.
Un autre exemple ? Prenons le cas de l’équipe de France de football. Laurent Blanc a annoncé la couleur, si j’ose dire : « Ce sera difficile de passer le premier tour de l’Euro ». On ne veut imaginer ce qu’il adviendra des Bleus s’ils parviennent à s’extirper des phases de poule… Certainement subiront-ils une cuisante déculottée en quart-de-finale ? Peu importe. Car le seul fait d’avoir dépassé, que dis-je, surpassé le pronostic de leur sélectionneur méritera bien les hourras de la foule. Je vois déjà l’immense banderole de l’équipementier recouvrant l’Arc de triomphe et sur laquelle l’on pourra lire: « Merci nos quarts-de-finalistes ! Nike, just loose it. »
Décidément, quel beau pays qu’est le nôtre ! Celui qui a la culture de la défaite, mais de la défaite décomplexée, de la défaite qui se fête. Ce pays qui offre à chacun la possibilité, à défaut d’avoir triomphé sans gloire, de se glorifier sans triomphe. Le ridicule ne tue pas, dit-on. Alors, que les plus patriotes d’entre nous soient rassurés: la France n’est pas prête de mourir.
Grâce à la célébration de son équipe de rugby, la France conserve son triple A : Autosatisfaction, Arrogance, Abêtissement
Article et montage réalisés par Vincent Davayat