Tribune : "Il faut envoyer les salariés coacher le XV de France"

Publié par Eric Latgé (tribune) sur 7 Octobre 2011, 22:59pm

Catégories : #Coupe du Monde 2011

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le dicton populaire « charité bien ordonnée commence par soi-même » n’était pas de mise samedi matin au Wellington Régional Stadium contre les Aigles des Mers tongiens, archipel aux 800 licenciés en rugby senior. En effet, les joueurs célèbres ont beau jeu (hors du terrain) de venir démontrer le parallèle entre le management sportif de haut niveau et l’entreprise. Il est certain que, depuis 2008, une majorité de salariés joue tous les jours le match de sa vie, pour un salaire un poil inférieur et sans prime de match, même pas de 1000 euros comme le souhaitait pourtant leur président. Actuellement, sur le terrain, les salariés se serrent les coudes : à 72%*, ils rêvent d’un transfert dans une autre équipe, ils aimeraient changer de poste car ils ne sentent pas leur effort valorisé, mais seulement 7% souhaitent le départ de leur patron. En tous cas, il est assez rare que les actionnaires laissent un patron viré négocier le plus gros contrat des quatre dernières années. Pourtant, tous les jours, sans rechigner, les salariés se parlent, écoutent leur encadrement, appliquent les consignes, apportent au collectif le meilleur d’eux –mêmes, rentrent tard, empiètent sur leur vie privée, leurs week–ends, en regrettant que leurs femmes, elles aussi au travail, ne puissent les accompagner dans leurs déplacements professionnels, fusse tous les quatre ans à l’étranger. En effet, les couples travaillent pour transformer l’essai d’avoir une vie plus agréable dans un environnement violent, dur, rapide, et internationalement très compétitif, aux règles de jeu parfois bafouées. Ils mouillent leur maillot portant sur leur cœur leur conscience professionnelle, dans leur ventre leur amour-propre préférant oublier un temps au fond de leur sac le bulletin de leur salaire bloqué. Parfois le samedi, ils regardent , dès potron-minet, ce qui se fait de mieux dans le haut niveau, ceux qui sont venus partager leurs rêves dans leur entreprise, ceux qui négocient « un ménage » avec leur agent, soignant leur image et leur carrière professionnelle. Tout à coup, ils découvrent, ahuris, leurs héros d’une mythologie contemporaine, ils les surprennent à refuser le combat, plier sous la pression, baisser les bras rapidement, se démobiliser à la première banderille, ne pas se référer à l’encadrement, oublier les fondamentaux travaillés en formation. Une telle désillusion les amène à cette simple réflexion : si nos < Dieux du stade > ne peuvent y arriver qu’allons-nous pouvoir faire pour nous en sortir ? Heureusement, dans un élan d’humilité et de courage, ils se rappellent qu’ils ont un devoir : celui de faire avancer les choses, à leur petit niveau, pour leur famille, pour leur conscience, pour leur entreprise et un peu pour la France. Dès le lundi et même avant pour les actifs du week-end, ils renfilent le maillot pour fouler le terrain de leur vie professionnelle, rentrent dans le match en se disant que finalement la prochaine fois qu’un membre de l’équipe de France viendra dans leur entreprise ils pourront échanger sur le haut niveau sur un pied d’égalité… enfin presque.