De Neuchâtel à Grozny, l'histoire du foot de Tchétchènie.

Avec la reprise du Paris Saint Germain par les Qataris, force est de constater que le footbusiness a remplacé le football. Mais voilà, des très riches, il y en a autre part que dans le Golfe Persique. En Tchétchènie, par exemple. Même si le nom de ce petit pays rime plutôt avec terrorisme, attentats et assassinats, les Tchétchènes ont bel et bien rejoint la planète football. Ceci grâce à deux hommes : Ramzan Kadyrov et Bulat Chagaev. Décryptage des secrets de la hype tchétchène.



Kadyrov : quand le foot rejoint la politique

Dans cette petite république russe caucasienne, le despote local s'appelle Ramzan Kadyrov. Il faut savoir que la région est en conflit perpétuel avec Moscou. Les deux premiers présidents indépendantistes, Doudaiev et Maskhadov, ont été assassinés par les forces militaires russes. C'est ensuite Akhmad Kadyrov, père du président actuel, qui a pris le pouvoir. Il fut tué dans l'enceinte du Terek Grozny par des nationalistes. Alkhanov, pro-fédéral comme Kadyrov Sr, est ensuite élu mais est victime d'un « accident » de voiture peu après et doit démissionner, en 2007, au profit de Ramzan Kadyrov.

Malgré ses origines tchétchènes, celui-ci est particulièrement apprécié par Vladimir Poutine, avec qui il entretient de bonnes relations. Kadyrov dirige la plupart des grandes entreprises de la région et est accusé des meurtres des journalistes Anna Politkovskaia et Natalia Estemirova. Vous cernez le personnage, maintenant ? Revenons en au football. Kadyrov est le président du Terek Grozny, le club local.

Ramzan Kadyrov l'a bien compris, le football est l'opium du peuple. C'est pourquoi il investit énormément dans son club de Grozny. Ainsi, Ruud Gullit, la « Tulipe Noire », débarque en Russie, pour entraîner le club et le qualifier pour une coupe d'Europe. Il le fait « pour l'argent et l'aventure ». Pour l'argent, surtout. Un contrat de 2 millions d'euros, ça motive. L'aventure, elle, sera de courte durée : 6 mois. Monsieur Gullit serait, selon Kadyrov, un peu trop porté sur l'alcool et les « boîtes de nuit » de la capitale tchétchène. Il faut dire que le Terek Grozny occupe la onzième place d'un championnat à 16, dominé par le CSKA Moscou. En même temps, même avec Gullit en tant qu'entraîneur, difficile d'imaginer de grands noms au club... Même si la destination paraît exotique et idéale pour une pré-retraite, on ne se bouscule pas pour aller à Grozny. La piste Diego Forlan fut un instant évoquée, mais l'intéressé prit cela comme une blague.

Si Kadyrov a échoué dans sa quête de grands joueurs au club, il a tout de même réussi à faire venir d'anciennes gloires dans le Caucase. Pour un match de bienfaisance. Oui, on peut être non-respectueux des droits de l'homme et organiser un match de gala. C'est beau la Tchétchènie. Ce fameux match vise à inaugurer la nouvelle enceinte du Terek Grozny (30 000 places) et commémorer la mort du père de Kadyrov. Résultat : une belle brochette de retraités dont Zamorano, Francescoli, Figo, Boghossian et « El Pibe de Oro », Diego Maradona. Montant : 450 000€ pour le gros Diego, 130 000€ pour le Portugais, et 50 000€ pour Zamorano et Francescoli. Les autres, dont Boghossian, chopé par les caméras de Canal+ montant dans le jet privé de Kadyrov, devront se « contenter » de montres incrustées de diamants et autres pierres précieuses. C'est plutôt bien payé pour simplement se trémousser sur le terrain. Parce qu'interdiction de bien jouer, puisque Ramzan Kadyrov doit marquer et gagner le match.

Aussi, ne pas oublier de mentionner les portraits géants qui figurent sur « l'Akhmat-Khadzhi Kadyrov sport center » - oui, Kadyrov aime la simplicité. Un à l'effigie du regretté Akhmat Kadyrov et un autre à l'effigie de... Vladimir Poutine ! Tous les moyens sont bons pour convaincre la population que la Russie et la Tchétchènie peuvent vivre paisiblement. Et pour se faire apprécier par le président – non, premier ministre, mais c'est tout comme – Poutine. Évidemment, cette histoire n'a rien de politique.

Chagaev : le foot suisse made in Tchétchènie

Si Kadyrov cherche à développer le foot en Tchétchènie, son « frère » Bulat Chagaev a quant à lui des ambitions européennes. Et pas des moindres. Il veut remporter la prestigieuse Ligue des Champions. Pour cela, l'ami Bulat a bien entendu acheté un club au bord de la faillite, le Neuchâtel Xamax. Objectif Ligue des Champions dans 3 ans. Mission impossible ? Pas pour Chagaev.

Sur son CV, on peut y voir notamment qu'il a été élu en 1991 député du Parlement soviétique de la République de Tchétchènie et qu'il est diplomé de l'Institut du pétrole de Grozny. En plus, ce petit rondouillard est marié à la fille de Doku Zagaev, ancien cadre du PC soviétique et dernier président de la République soviétique de Tchétchènie. Bref, à mettre dans le même sac que son pote Kadyrov.

Dans le domaine du football, Chagaev investit dans le club de Xamax via son entreprise Dagmara Trading, spécialisée dans le commerce du pétrole et du gaz. Une entreprise dont on peine à trouver des traces d'activité et qui ressemble plus à une coquille vide qui permet au Tchétchène de blanchir de l'argent. Aux supporters mécontents qui lui reprochent d'investir de l'argent sale, Chagaev répond par cette admirable pirouette « Argent sale ? Je ne sais pas de quoi vous parlez, quand je vais acheter mes chaussures, personne ne me demande d'où vient mon argent ? ». Sacré Tchétchène. Mais pour se faire bien voir, n'oublions pas de mentionner qu'il a offert gratuitement à 7000 personnes l'entrée au stade pour le dernier match de la saison de Xamax. « Il a tout compris, le Tchétchène », s'émerveillent déjà quelques supporters...

Cependant, les méthodes de cet homme d'affaires trouble venu de l'Est ne sont pas sans déplaire à quelques personnes. Premièrement, à l'ancien entraîneur, Didier Ollé-Nicolle, limogé pour ses résultats jugés trop faibles et son non-investissement dans le club. Il faut dire que le français s'était payé ouvertement les Tchétchènes en point presse. De toute façon, il n'aurait « jamais accepté d'entraîner une équipe dirigée depuis Grozny ». Son successeur, Bernard Challandes, fera trois matchs sur le banc avant d'être viré. Aussi, des manifestations anti-Kadyrov sont organisées dans « Neuchhh » pour protester contre le président Tchétchène, mais Chagaev les ignore. En même temps, si Chagaev pourrait finir en prison pour ses magouilles financières, Kadyrov pourrait gagner un aller sans retour vers La Haye, où siège le Tribunal Pénal International...

Mais les grands noms du football commencent à arriver en Suisse. Sur le banc, bien sûr, car difficile de faire signer Messi dans un club qui joue son maintien jusque dans les derniers matchs chaque année. Ainsi, le nouvel entraîneur de Neuchâtel Xamax se nomme... Sonny Anderson ! Avec comme adjoints François Ciccolini et Jean-Luc Ettori. Visiblement, ces trois-là n'ont pas été bien renseignés sur ce qui les attendait... Chagaev était entré dans le vestiaire des joueurs, à la mi-temps de la finale de la Coupe de Suisse, alors que Xamax était mené 2-0. Le Tchétchène avait alors déclaré, furax, « I kill you all », et ajouté, pendant la trêve, « Gardez votre portable ouvert pendant les vacances. Si jamais je dois vous appeler pour vous virer .» L'humour Tchétchène, sans doute.

Toujours est-il que du côté de Grozny et de Neuchâtel, la saison s'annonce particulièrement difficile...



Article réalisé par : Etienne Escuer l Images : globalpost / killthecreative / letemps